INSTRUMENTS DE MUSIQUE - Histoire et classification

INSTRUMENTS DE MUSIQUE - Histoire et classification
INSTRUMENTS DE MUSIQUE - Histoire et classification

L’instrument en lui-même peut être un objet unique ou former un système complexe; il peut être conçu à partir de matériaux choisis ou façonnés à cette fin; il peut être aménagé dans des objets détournés de leur fonction première.

Dans leur majorité, les instruments sont maniés directement; cependant, il en est d’autres, mécaniques ou automatiques qui, au prix d’une conception préalable souvent subtile et d’une mise au point ingénieuse, font entendre de la musique sans l’intervention d’un musicien. Ces instruments, populaires ou raffinés, existent depuis de nombreux siècles et les exemplaires qui nous viennent de la Renaissance jusqu’à l’ère classique sont devenus de précieux documents; leur place a été importante dans l’histoire de la musique.

Les origines

Dès la préhistoire, les instruments de musique existent; les fouilles en témoignent. Leur petit nombre n’est guère représentatif, en raison de la fragilité des matériaux. Ce sont pour la plupart des aérophones, faits dans des cornes, des dents ou des os d’animaux. Les ethnies qui, aujourd’hui encore, vivent comme nos ancêtres de l’âge de la pierre, pratiquent une musique souvent complexe, à l’aide d’instruments aux matériaux et types variés, ainsi les aborigènes d’Australie; l’étude de leur tradition instrumentale peut nous donner une idée de ce que furent les premiers instruments.

Les formes musicales ne sont pas obligatoirement à mettre en parallèle avec les instruments qui les interprètent: des musiques complexes, telles les polyphonies des Pygmées, ou celles de certaines populations d’Océanie, sont jouées à l’aide d’instruments fort simples. À l’inverse, un instrument produit par une technologie avancée peut souvent cacher des musiques dépourvues d’imagination.

Lorsqu’on se rapproche des périodes historiques, on dispose de documents plus nombreux et d’accès plus direct: textes littéraires, monuments figurés, instruments plus ou moins bien conservés. Cependant des énigmes demeurent: le timbre, la tessiture des instruments, le répertoire nous échappent, en l’absence de musique notée de façon perceptible pour nous. Un exemple: la musique de l’Antiquité égyptienne, dont l’instrumentarium est d’une rare variété et d’une grande richesse au vu des témoignages figurés, nous reste fermée, malgré des tentatives d’interprétation.

L’Antiquité gréco-latine nous a laissés démunis de textes musicaux réellement significatifs et d’indications détaillées sur les instruments, en regard de la place que tenait, nous le savons, la musique dans la société. Ce ne sont pas les quelques centaines de représentations, au demeurant fort bien étudiées, de lyres, de cithares, de syrinx, d’auloi ou de tambours sur cadre qui peuvent satisfaire notre soif de connaître la musique instrumentale de la Grèce antique dans toute son ampleur.

Plus près de nous, le Moyen Âge, qui regorge pourtant de monuments figurés, de traités théoriques et de partitions musicales dont la notation est d’une précision extrême, laisse encore le champ libre à des interprétations contradictoires. On assiste, de nos jours, en matière de musique instrumentale, à une re-création d’un Moyen Âge imaginaire, qui n’est peut-être qu’une résurgence du Moyen Âge architectural de Viollet-le-Duc, et qui fait sourire les musicologues sérieux.

Il faut attendre, dans nos contrées occidentales, la Renaissance pour évoluer sur un terrain plus sûr, la diversité et l’abondance des documents permettant une étude comparative et des recoupements avec les instruments conservés, dont un bon nombre sonnent encore.

Les instruments traditionnels, de France ou d’autres pays, instruments populaires ou destinés à des musiques savantes, s’insèrent dans toutes les circonstances de la vie; en dégager des constantes d’utilisation s’avère difficile. Des instruments simples, voire rudimentaires, capables d’émettre les deux ou trois sons reconnaissables d’un code, seront ceux de la chasse, de l’appel, du guet, du combat. Ce seront essentiellement des aérophones – conques, olifants, cornes, trompes, trompettes –, des idiophones – «tambours» à fente, cloches –, des membranophones – tambours, timbales. Le fait, pour un son, de porter au loin n’implique pas un fort volume: l’alphorn en est un exemple. À cette catégorie «utilitaire» appartiennent également les sifflets et les appeaux, dont les sons ne s’inscrivent pas nécessairement dans une échelle musicale.

Les instruments de la musique savante, au contraire, sont prévus, dans leur conception acoustique, de manière à répondre à un système musical précis: tels sont les ensembles d’idiophones de Java dont les intervalles sont codifiés avec rigueur; tel est le piano actuel, qui correspond au tempérament égal – division de l’octave en douze demi-tons égaux. Les musiques rituelles et religieuses, le plus souvent, font partie des musiques savantes.

Les instruments de musique populaire sont faits de manière à s’intégrer à des systèmes moins raffinés. Parfois, dans un même pays, au même moment, musiques savantes et populaires obéissent à des lois différentes. Des échanges se produisent souvent; des instruments passent d’un milieu musical à un autre; il est rare que les catégories restent étanches, mais il arrive que des évolutions parallèles se produisent. Lorsqu’un instrument fait son apparition dans un contexte où il ne figurait pas jusqu’alors, il est souvent l’occasion de transformations sur le plan musical, dans le style ou dans les formes.

Ainsi la vielle à roue, qui était au XIIe siècle le noble organistrum , capable de polyphonie, tombe-t-elle cinq siècles plus tard aux mains des mendiants et des musiciens de noces campagnardes, pour se retrouver, peu après, projetée dans les milieux élégants. Les meilleurs luthiers construisent des instruments, les compositeurs célèbres écrivent pour la vielle. Puis sa vogue citadine cesse, elle retourne aux champs, où l’accordéon va la remplacer. Et la voici remise en honneur par les musiciens «folk», pourvue d’un nouveau répertoire. Chacune de ces vicissitudes s’accompagne de modifications dans sa conception, mais il s’agit toujours de la vielle à roue.

Évolution des instruments

Il est difficile de définir des constantes qui permettraient d’attribuer à des causes détermiminées la naissance de certains types d’entre eux. Car leur origine est multiple et sans doute simultanée sur la surface du globe. La démarche qui consiste à prendre un instrument et à en retrouver les avatars en remontant le cours du temps n’est valable que sur des périodes restreintes, mais ne permet pas de retrouver un «ancêtre». L’évolution de la clarinette actuelle, par exemple, peut être suivie aisément en remontant jusqu’aux alentours de 1700, où Johann Christoph Denner modifia le chalumeau qu’elle était encore; lorsque l’on examine les clarinettes qui appartiennent à d’autres cultures, on constate qu’il en existe certains modèles différents, mais l’idée d’antériorité ou d’évolution ne s’envisage pas de cette manière.

L’instrument ne suit pas une évolution linéaire ni chronologique; à toutes les périodes apparaissent des types qui, ensuite, disparaissent pour réapparaître ailleurs et sous d’autres formes. Certains d’entre eux se trouvent dans des contrées géographiquement et temporellement éloignées les unes des autres. C’est alors qu’il faut essayer de déterminer si un type est né dans des circonstances particulières en plusieurs points du monde à la même époque, ou s’il a été transporté à la faveur de migrations de populations. Certains cas, remontant au XVIIe siècle, par exemple la harpe d’Amérique latine importée par les Espagnols, sont clairs; d’autres le sont moins. P. Gold voit dans le hautbois un instrument qui s’est diffusé sur une immense échelle: parti d’Asie du Nord-Est, il aurait gagné l’Asie centrale et l’Afghanistan par suite de mouvements de populations mongoles vers l’ouest; puis il se serait répandu en Iran et en Asie Mineure et, de là, par les Turcs d’Anatolie, aurait gagné la Macédoine; les Arabes l’auraient assimilé et communiqué à l’Espagne. Les Espagnols l’auraient emporté au Nouveau Monde, où il est encore joué sous une forme simple par les paysans indiens d’Amérique latine. Mais rien n’interdit de penser que plusieurs civilisations aient pu être attirées par le timbre particulier de l’anche double ou amenées, par des nécessités d’ordre fonctionnel, à la construction d’instruments à la sonorité puissante et éclatante, joués avec des trompettes.

Une fonction déterminée produit-elle toujours un même instrument? Ce fait est vérifié dans des fonctions relativement simples, comme l’appel, les signaux, les activités de plein air, où règnent trompes, cors et cornes, membranophones divers et autres instruments de fort volume sonore. Un fait analogue n’existe-t-il pas pour certains rites? Le même rite est-il inséparable, quelle que soit l’aire géographique, d’un même instrument? L’ethnologue G. Rouget a démontré, au contraire, que les rites de la possession peuvent s’accommoder aussi bien d’instruments doux que d’instruments stridents.

La possession s’inscrit dans un ensemble de phénomènes pendant lesquels se produit une relation particulière entre les sons musicaux et l’organisme humain. Un autre aspect de cette relation est constitué par la musicothérapie, qui représente un champ d’expériences encore vaste.

Des cultures similaires donnent-elles naissance à des instruments similaires? Dans la mesure où chaque civilisation se définit d’une manière originale et, en conséquence, suscite les instruments spécifiques de sa musique, la question reste sans réponse. Indépendamment du contenu émotionnel de la musique – s’il y a lieu –, les instruments sont inséparables des systèmes musicaux auxquels ils sont destinés; ceux-ci peuvent être étudiés, mesurés, définis. Ils correspondent souvent à des caractères de civilisation. Un système musical se perpétue-t-il? Les instruments, inchangés, remplissent leur fonction aussi longtemps que les musiciens se transmettront leur savoir; ainsi en est-il, par exemple, du Nô japonais. Un autre système se transforme-t-il? Les instruments suivront les moindres mouvements de cette évolution. Tel l’orchestre symphonique qui, à l’époque romantique, s’impose comme moyen d’expression privilégié et qui, de par sa conception nouvelle, demande des instruments spécifiques. Leurs timbres, différents de ceux du siècle précédent, seront alors moins personnels, mais susceptibles de se fondre davantage entre eux. Wagner cherche sans relâche à matérialiser le son d’orchestre idéal qu’il porte en lui et, pour cela, pousse les facteurs à construire des familles spéciales d’instruments, comme celle des tubas. L’origine d’un instrument s’explique-t-elle par les matériaux? Le matériau, dans une certaine mesure, détermine des types: une corne d’animal, en raison de sa structure, ne peut devenir qu’un aérophone du genre trompe ou cornet; le bambou, en revanche, se mue en flûtes, en cithares, en résonateurs, en anches... Il semble que l’homme exerce son sens de l’observation sur son environnement naturel pour y choisir, après expériences, l’élément qui conviendra à son propos: une carapace de tatou – animal du bassin de l’Amazone caractérisé par un bouclier dorsal formé de lames dures – pour la caisse de résonance du charango , cordophone à cordes pincées muni d’un manche; une défense d’éléphant pour un cornet à bouquin.

Quant aux filiations, chères aux théoriciens depuis l’Antiquité grecque, jusqu’au père Marin Mersenne et à Pierre Trichet, en passant par le Moyen Âge, elles ont eu droit de cité récemment encore, chez Antoine Vidal et Laurent Grillet, qui tenaient à faire descendre le violon du ravanastron , instrument à archet traditionnel de l’Inde. La filiation la plus vraisemblable est celle de l’arc musical, dérivé de l’arc du chasseur (C. Sachs, A. Schaeffner), qui donne naissance à d’autres cordophones: le pluriarc, puis la harpe arquée, qui existe en de nombreux points du monde. La démarche apparaît moins nette en ce qui concerne d’autres cordophones.

Les aérophones connaissent d’emblée une grande variété de types, la nature fournissant des tuyaux de proportions acoustiques favorables, prêts à être embouchés, ou presque.

L’idée de «perfectionnement» ou de «progrès» est obstinément ancrée dans bien des esprits; héritage du Siècle des lumières? C’est confondre deux notions différentes: l’acoustique d’un instrument et sa technologie. Cette dernière a progressé en effet et a permis d’adapter à certains instruments des dispositifs spéciaux ou d’en modifier les méthodes de fabrication. La technologie n’est qu’un moyen, non un déterminant. Les caractères acoustiques constituent la «personnalité» sonore d’un instrument et sont obtenus par le facteur, quels que soient les moyens technologiques dont il dispose, afin qu’il s’intègre à un système musical donné.

Il est évident, en ce cas, que les appréciations subjectives d’une sonorité n’ont pas à être érigées en jugements. En ce qui concerne les sons qui constituent notre environnement, nos capacités d’appréciation sont faussées par l’accoutumance. En même temps, les musiques «insolites» demandent une initiation. D’autre part, un instrument isolé de son contexte perd de sa signification. D’une manière générale, on peut observer actuellement une meilleure approche des musiques étrangères qu’il y a cent cinquante ans; un texte de Berlioz garde le souvenir de la quasi-répulsion éprouvée par les musiciens romantiques, lors d’une exposition universelle, la première fois qu’ils entendirent de la musique chinoise. Il fallut quelques décennies pour que ces systèmes musicaux fussent acceptés, puis appréciés, par un Debussy, sans pour autant que les instruments eux-mêmes fussent assimilés.

De nos jours, du fait de la facilité des voyages, de l’extension des moyens de communication, de nombreux échanges instrumentaux ont lieu; une véritable osmose entre Orientaux et Occidentaux se produit, les premiers trouvent dans les pianos, les violons et les guitares un chemin pour pénétrer la culture musicale de l’Occident, les seconds enrichissant leurs moyens d’expression grâce aux cordophones de l’Inde ou aux idiophones de Bali et d’Extrême-Orient.Pour mieux évaluer la place et l’importance d’un instrument, l’étude historique, ethnographique, est fortement épaulée par une étude qui fait appel à toutes les ressources des sciences exactes. Les analyses qui en résultent permettent de progresser dans la connaissance des instruments, mais à condition que la musique soit présente, et figure au premier plan des préoccupations du musicologue.

Les besoins musicaux évoluent sans cesse et le XXe siècle semble particulièrement sensible aux timbres après une période de relative uniformité. Depuis le début de ce siècle, les pupitres «de bois», de «cuivres», de «cordes» de l’orchestre symphonique n’ont pas vraiment changé, au contraire des pupitres de «percussions». De plus, les ensembles formés uniquement de percussions témoignent d’un goût pour le son en lui-même et, jouissant d’un prestige considérable, exercent un rayonnement en matière de pédagogie et de création.

Il n’y a pas lieu de s’attarder sur le débat qui oppose tenants des instruments faisant appel à la résonance naturelle et partisans des instruments électroniques, procédant à une synthèse du son. Les expériences répétées montrent que le débat reste sans objet lorsque créateurs et interprètes savent utiliser, isolément ou combinés, tous les moyens d’expression dont ils peuvent disposer.

Les rapports entre musiciens et facteurs ne pourront manquer, comme par le passé, de faire évoluer les instruments de musique en fonction des besoins musicaux de notre temps.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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